Depuis quelques années l’actualité a remis au devant de la scène la question de la laïcité. Le Front Démocrate 29 et le cercle Albert de Mun, plutôt que d’entrer dans les polémiques malsaines, a préféré engager un travail de fond sur les modalités pratiques de la laïcité vécue au quotidien, sans négliger la réflexion sur nos capacités à vivre ensemble avec toutes les différences qui caractérisent une société ouverte et démocratique. A la suite d’une conférence-débat réunissant 150 personnes en juin 2015, des ateliers citoyens se sont attelés à cette tâche, dont la synthèse partielle est à découvrir ci-dessous.
La loi du 09-12-1905, fondatrice de la laïcité en France, tout en enlevant tout pouvoir temporel à l’Eglise, a garanti aux citoyens croyants la possibilité de pratiquer librement leur foi, dès lors que cette pratique s’inscrit dans le respect des lois de la République. La laïcité telle que défendue par Jean Jaurès et Aristide Briand est conçue comme un cadre pour le vivre ensemble des croyants, quelle que soit leur religion, et des non-croyants. Dans cette conception l’Etat et les collectivités publiques sont laïcs, pas la société. La question était alors fondamentalement celle de la place de l’Eglise catholique, même si les cultes protestant et israélite sont également concernés. Les débats lors de l’adoption de la loi, puis dans ses premières années d’application, ont été très vifs mais ont fini par s’apaiser, même si l’opposition entre « laïcards » et « anti-laïcards » était toujours prête à se réactiver.
A partir des années 1980 cet apaisement va progressivement être bousculé par des débats de plus en plus vifs, où le passionnel et le politique vont souvent l’emporter sur le rationnel. C’est qu’un acteur nouveau est progressivement apparu: l’Islam. La question n’est plus celle de la place de l’Eglise catholique, mais celle de la place de l’Islam dans la société. La loi de 2004 sur les signes ostentatoires dans les écoles publiques précise, à la marge, un des aspects de la loi de 1905 pour assurer le respect de la laïcité à l’école publique et le débat semble à nouveau s’apaiser. Mais la montée de revendications communautaristes plus ou moins ouvertes, d’une part, et l’affirmation d’une rhétorique anti-islam fondée sur une instrumentalisation intégriste de la laïcité d’autre part, relancent le vieux débat. Les attentats islamistes de 2015 à Paris, 2016 à Bruxelles, Nice, St Etienne du Rouvray, et la prise de conscience que le danger terroriste serait durable, ont créé le désarroi et amené certains à se poser la question de la compatibilité de l’Islam avec les valeurs de la République.
La laïcité est donc aujourd’hui de nouveau au centre du débat politique, avec cette fois des risques de surenchères et de fractures dans la société française, bien loin des objectifs d’Aristide Briand.
A l’initiative du Front Démocrate et du Cercle Albert de Mun, un groupe de citoyens du sud Finistère s’est réuni pour réfléchir à la laïcité dans la société française, en se demandant :
– si, et, si oui, dans quelles conditions, la laïcité de la loi de 1905, complétée en 2004, est toujours adaptée à la situation de 2016,
– comment la laïcité peut notamment contribuer à un vivre ensemble pacifié, adoptable par la grande majorité des citoyens.
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Pour cette réflexion le groupe a choisi d’examiner des situations concrètes d’application de la loi de 1905, plutôt que de se lancer dans des débats de principe.
Il ressort de la réflexion, outre des recommandations cas par cas, trois points essentiels:
– Les règles de laïcité de la loi de 1905 sont toujours largement adaptées à la société française de 2016. Des aménagements à la marge pourraient paraître justifiés et souhaitables, mais ils auraient l’inconvénient d’ouvrir la boîte de Pandore de revendications contradictoires qui fragiliseraient le fragile consensus autour de cette loi .
– il faut appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi, mais cette application ne pourra contribuer aux objectifs de concorde sociale des pères de la loi de 1905 que si cette application se fait avec le souci du vivre ensemble : respecter l’autre, accepter ses différences dès lors qu’elles ne contreviennent pas à la loi et ne sont pas utilisées comme des armes contre le vivre ensemble.
– Un important effort de pédagogie est nécessaire pour éviter les malentendus et que chacun connaisse la laïcité, ce qu’il peut en attendre, ce qu’il doit respecter : à l’école d’abord, mais pas seulement. Les Pouvoirs publics disent actuellement vouloir renforcer cette connaissance de la laïcité : le groupe soutient cette volonté quelle que soit la couleur politique des Pouvoirs publics.
Le groupe est bien conscient que les efforts pour le vivre ensemble par la laïcité n’est pas une réponse immédiate au terrorisme islamique. Cet effort de vivre ensemble a surtout des effets à moyen terme et ne dispense bien évidemment pas des efforts immédiats indispensables de sécurité et de lutte contre les terroristes. Il ne dispense pas plus des efforts pour lutter contre les autres ingrédients qui constituent au terreau sur lequel prospère le terrorisme islamique : lutte contre la relégation sociale, lutte contre l’idéologie fondamentaliste. Mais le vivre ensemble par la laïcité est une condition sine qua non si on veut éviter l’engrenage de la haine, et garder l’espoir de retrouver une société apaisée, ce qui était l’espoir et le pari de Jaurès et Briand.
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Le groupe a examiné vingt-cinq cas pratiques d’application de la laïcité et fait pour chaque cas une proposition avec les motivations de cette proposition. Le résultat de ces réflexions fera l’objet d’une note ultérieure. Ci-dessous sont présentées quelques-unes des propositions.
* Apprendre le vivre ensemble à l’école
Pour le primaire, l’objectif essentiel doit être d’apprendre aux enfants la tolérance, l’enrichissement qu’apportent les différences et d’éveiller à la (bonne) curiosité vis-à-vis des religions (visite d’églises/temples, mosquées, synagogues là où elles existent) et au rappel du concept de Laïcité.
Pour le secondaire, le groupe insiste sur la formation des enseignants, formation avant d’entrer dans le métier, puis formation permanente sur les faits religieux et l’Histoire de la Laïcité.
* Nourriture dans les cantines scolaires publiques : le groupe appuie la proposition de loi Y.Jégo d’offrir systématiquement une alternative végétarienne à tout repas comportant viande ou poisson.
* Mères voilées accompagnatrices lors de sorties scolaires : il n’y a pas de justificatif, mais beaucoup de blessures inutiles, à refuser que des mères musulmanes volontaires puissent accompagner des sorties scolaires en portant le voile qu’elles portent habituellement, dès lors bien sûr qu’elles ne font aucun prosélytisme.
* Vêtements et affirmations identitaires : la liberté de vêtement fait partie de la liberté de conscience assurée par la laïcité ; le groupe de réflexion estime qu’il faut rester à un principe simple : dans l’espace public autre que l’école chacun est libre de porter les vêtements qu’il souhaite avec pour seule limitation légale celle de la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage pour des raisons de sécurité. Les débats sur la mode islamique ne peuvent être abordés au nom de la laïcité. Ceci n’enlève rien au fait que le port de vêtements identitaires comme toute affirmation ostensible des différences ne facilite pas un vivre ensemble harmonieux ; mais c’est par le dialogue et le respect mutuel qu’on peut essayer de limiter les atteintes au vivre ensemble.
A l’école, si le port de signes ostentatoires ou ambigus relançait le débat clos par la loi de 2004, la question de l’uniforme à l’école pourrait se poser en alternative à des solutions discriminatoires
* Hôpitaux : rester intransigeant sur le respect des règles de la laïcité et ne pas accepter de se plier aux exigences d’hommes qui exigeraient que leurs femmes soient examinée par une femme.
* Universités et établissements publics d’enseignement supérieur :
Le groupe de réflexion adhère aux recommandations de l’Observatoire de la laïcité qui estime ni utile ni opportun de légiférer sur le port de signes religieux par les étudiants, mais recommande aux établissements de se doter d’un règlement intérieur rappelant les règles applicables en matière de laïcité et de gestion du fait religieux au sein de l’établissement, et rappelant les principes de fonctionnement du service public.
*Financement de la construction de mosquées : outre les aides publiques indirectes (prêts emphytéotiques, garanties d’emprunts, ….), le groupe est favorable à tout montage qui, tout en respectant le principe de non attribution de fonds publics pour la construction d’édifices religieux, permettrait de faciliter le recueil de fonds privés dont l’origine pourrait être contrôlée pour éviter les risques d’entrisme de l’islam politique. Il soutient en particulier la création pour la Fondation de l’Islam de France.
* Imams et prédication
Les pouvoirs publics doivent aider à la multiplication des formations d’imams français bon connaisseurs de la société française et des principes de laïcité, dans le cadre d’une politique qui « sous-traite » de moins en moins la parole religieuse musulmane à des pays étrangers, aussi pays-amis soient-ils. Dans l’immédiat la France devrait aussi exiger dans le cadre des accords avec l’Algérie , le Maroc et la Turquie , que les imams possèdent un bon niveau en français , s’engagent à obtenir le diplôme spécifique de culture française mis en oeuvre par plusieurs universités publiques et privées et prêchent en français.
Le Groupe suggère que soit étudiée la possibilité d’étendre le concordat à l’Islam en Alsace-Moselle. Il considère que L’Etat devrait engager avec l’Université de Strasbourg les conditions de création d’une Licence de Théologie Musulmane.
Parallèlement la surveillance des mosquées pour lesquelles on a des indices de discours islamistes doit être renforcée.
*Aumôneries :
Dans les prisons, il faut poursuivre avec détermination l’augmentation du nombre d’aumôniers musulmans dans les prisons, par souci d’équité et pour contribuer à la lutte contre les dérives extrémistes islamistes. Il convient également de multiplier les aumôneries militaires , hospitalières, scolaires . L’Etat qui en vertu de la séparation n’a aucun droit de regard sur la nomination des imams indépendants, peut en revanche contrôler celui des aumôniers et de leur formation.
* Cimetières, carrés musulmans :
être intransigeant sur le respect de l’obligation de l’autorisation d’inhumer un défunt qui résidait dans la commune et de neutralité des cimetières, qui permet aux familles de décider de la position du défunt, de l’emplacement d’une stèle sur la sépulture et de l’aspect externe de celle-ci, sous la seule réserve qu’il n’y ait pas dans cet aspect d’élément contraire à l’ordre public. Le groupe appuie par ailleurs la position de l’Observatoire de la Laïcité qui recommande la constitution de regroupements confessionnels non matérialisés par une séparation physique des autres tombes.
* Travail et religion dans les entreprises (autres qu’entreprises de tendance)
La loi ne peut régler tous les problèmes ; elle doit réaffirmer l’interdiction de toute discrimination, ce qu’elle fait (et faisait déjà avant la loi travail), mais au-delà de ce principe, et de l’exclusion de toute pratique qui mettrait en cause la sécurité ou le bon fonctionnement de l’entreprise, il convient de s’en remettre à la discussion d’accords d’entreprises et au règlement intérieur, le bon sens et la recherche du bénéfice mutuel devant dans la plupart des cas régler les problèmes, pour peu que la discussion soit à peu près protégée des a priori et des ambiances polémiques.
*Absences sur les lieux de travail pour raisons religieuses lors des fêtes religieuses non chômées :
Dans une optique de vivre ensemble dans le respect des principes de laïcité, le groupe recommande de relancer la proposition de la Commission Stasi d’instaurer un jour férié juif et un jour férié musulman, les deux jours étant compensés soit par suppression de deux jours fériés ne correspondant pas à des fêtes inscrites dans la liturgie catholique, soit par suppression de deux jours de RTT.
A défaut, à minima un pas pourrait être fait en direction des personnels des collectivités locales en leur permettant de bénéficier de la situation des fonctionnaires de l’Etat sur le sujet : depuis 1967 une circulaire du ministère de la fonction publique indique des dates de fêtes religieuses (pour les arméniens, israélites, musulmans, orthodoxes, bouddhistes) pour lesquelles des autorisations exceptionnelles d’absence peuvent être accordées aux adeptes des religions concernées.
*Halal/Casher :
Il faut que la capacité d’abattage des abattoirs rituels agréés (conformes au Code rural et de la pêche maritime) soit rapidement suffisante pour répondre à la demande, dans un domaine, la nourriture et ses rites, qui a une très grande importance affective/psychologique pour les juifs et les musulmans, qu’ils soient croyants ou pas.
Quant aux critiques concernant des zones où, de par la concentration de population musulmane (ou juive), il n’y aurait plus comme nourriture publique que de la nourriture halal, le commerce est libre et on ne peut pas contraindre un commerçant à faire autre chose que du halal ou du casher.
* Caricatures, blasphèmes :
Le blasphème est un concept religieux. La Loi n’a pas à le connaître, et le blasphème ne peut être interdit en tant que tel dans l’espace public. Il est tout à fait légal de critiquer, caricaturer des religions, mais c’est à chacun de mesurer comment concilier cette liberté d’expression et le souci de ne pas blesser inutilement l’autre, de le respecter, de ne pas contribuer à dresser les citoyens les uns contre les autres.
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La République garantit la liberté de religion qui est une facette de la liberté de conscience et d’expression.
Cette liberté entraine pour les religions des devoirs impératifs : respecter les lois de la République et ne pas vouloir imposer un point de vue particulier .
Mais aussi une double obligation morale : d’une part faire un effort de modération et d’adaptation aux conditions de la France d’aujourd’hui, d’autre part avoir la volonté de contribuer à un vivre ensemble apaisé, tout comme le souhaitaient les pères fondateurs de la laïcité.
Parallèlement tous les efforts doivent être faits pour faire émerger une entité et/ou des procédures permettant d’organiser un dialogue entre l’islam et le reste de la société française.